Rencontre avec Claude Lévêque

 

  Né à Nevers en 1953, et issu de l’école des Beaux-Arts de Bourges, Claude Lévêque est un artiste plasticien connu pour ses diverses installations. Avec ce médium, qui a émergé en France dans les années 1960, il repousse les frontières formelles et conceptuelles de l’œuvre d’art. L’espace, avec ses ombres, ses formes, ses vides, se métamorphose en œuvre. Le 11 janvier 2017, Giorgio Fidone l’a rencontré. Voici la teneur de l’entretien.

Claude Lévêque et Giorgio Fidone

D’où vous vient l’idée de vos installations ?
Je prends des notes dans des cahiers. J’y inscris mes idées, tirées de mes perceptions. Lorsqu’ensuite on me propose un espace, je reprends ces notes et toutes les études préliminaires au projet spécifique. Pour investir un lieu, je vais tenir compte de sa fonction, de son histoire. Je suis intervenu dans des fabriques, des usines, des habitations, une banque, une piscine. j’exerce également dans des lieux consacrés à l’art comme des galeries, des musées, des centres d’art. Ce qui m’intéresse, c’est de partir d’une réalité pour développer un récit plus onirique, un effet de miroir de l’état des choses du quotidien.


Vous utilisez souvent des néons ; la vue est-elle plus importante que les autres sens ?
La lumière est un élément caractéristique de mon travail, mais pas seulement. Je fais appel à plusieurs sensations : la forme, le parcours, les sons constituent mes dispositifs. Cela dépend des projets, des situations. Il m’est déjà arrivé d’utiliser le noir absolu, ce qui mettait en valeur la parole ou le son. C’était un retrait total des images.

Vous avez commencé dans les années 1980, quel regard portez-vous sur l’évolution de l’art ?
Les années 1970-1980 étaient assez libres, les langages changeaient ; il n’y avait pas toute la spéculation sur l’art comme c’est le cas désormais. Mais l’art était aussi trop limité à son propre milieu d’initiés. Pour moi, ce sont des années de référence durant lesquelles j’ai développé mon travail. L’art est désormais trop lié à la loi de l’offre et de la demande. Cela ne permet plus aux artistes d’expérimenter. L’art est entré dans un système d’hyper-institutionnalisation et d’hyper-marché. Parallèlement, quand on parle d’expérience, on est surtout dans l’événementiel. Tout doit être visible immédiatement. Dans les années 1980, il y avait beaucoup plus de curators, des personnes qui voyageaient pour aller rencontrer les artistes. Maintenant, l’essentiel se passe dans les galeries et il y a peu de renouvellement du curatoring. Les acteurs de l’art sont toujours un peu les mêmes et je suis inquiet du manque de relève plus jeune à des postes clés avec un regard renouvelé.

Les institutions françaises en font-elles assez pour promouvoir les artistes français ?
La France ne protège pas assez ses artistes. C’est une grande différence avec beaucoup d’autres pays, comme les Etats-Unis qui est un pays protectionniste à ce niveau. Cela pose un problème pour le rayonnement des artistes français.

Comment peuvent-ils être pris au sérieux à l’étranger alors qu’en France ils ne le sont pas ?
D’ailleurs, peu d’entre-eux ont un rayonnement à l’étranger. Il y a des exceptions, comme Louise Bourgeois ou Marcel Duchamp, mais j’en connais beaucoup qui, après avoir vécu quelques temps là-bas, rentrent en France. Actuellement, le Musée d’Art Moderne et Contemporain de Saint-Etienne réalise une rétrospective des œuvres de Anne et Patrick Poirier. C’est impensable que ces artistes majeurs et qui étaient essentiels dans les années 1980, ne soient pas présentés dans un grand musée national tel que le Centre Georges Pompidou. Le Centre Georges Pompidou est un lieu qui produit des expositions formidables, mais il n’y a pas assez de place pour des choses moins connues. Il pourrait être plus expérimental. L’exposition de Cy Twombly est extraordinaire, mais c’est un artiste que l’on connaît déjà par cœur. Même si c’est toujours bien de voir un très bon artiste, il serait bien d’en faire connaître au public d’autres, et plus d’artistes français. Une institution publique qui dispose d’un tel rayonnement devrait se donner les moyens de dynamiser l’art français et permettre un réel relais à l’étranger. Loin de là l’idée d’un repli franco-français, mais il est indispensable que les artistes français aient la possibilité de se confronter à l’international. Le Musée d’Art Contemporain du Val-de-Marne (MAC VAL) adopte une position tout autre. Il montre des artistes très importants, un peu à l’écart, et que l’on découvre ou redécouvre avec étonnement. Je suis un ardent défenseur du MAC VAL. Ils rendent visibles les artistes nationaux. S’ils ne sont pas assez visibles, ils sont oubliés dans le turnover de la compétition et du buzz, et des démarches qui auraient pu être des composantes importantes dans l’histoire disparaissent. Il est facile de ne produire des expositions qu’avec des têtes d’affiches : ça fait beaucoup de public, beaucoup de chiffre. Il faut dire aussi qu’on est dans une période où la demande est très “marketée”.

On a beaucoup parlé de Jeff Koons à l’occasion du bouquet de fleurs proposé au Musée d’Art Moderne. Quel regard portez vous sur le travail de cet artiste ?
Ce bouquet n’a à mon goût aucun intérêt. La pièce est moyenne. Je ne comprends pas son geste. Il propose une œuvre monumentale et la France doit financer la production. C’est un peu autoritaire ; même si on peut considérer que c’est un juste retour par rapport au cadeau de la Statue de la Liberté. Au-delà, et bien qu’il y ait beaucoup de critiques à propos de Jeff Koons, je ne pense pas qu’on puisse dire que ce qu’il produit est mauvais. Jeff Koons crée un art miroir de la consommation de masse et de la spéculation financière. C’est un artiste-trader, c’est une dimension de son œuvre. Il n’y a aucune porte ouverte sur un débat là-dessus. En définitive, Jeff Koons est un artiste réverbérant.

Giorgio Fidone,
Février 2017

 

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